Titel
Le couvent de Romainmôtier du début de l’époque clunisienne à la fin du XIIe siècle. Étude archivistique, diplomatique et historique, suivie de l’édition du chartrier


Autor(en)
Pahud, Alexandre
Erschienen
Lausanne 2018: Société d’histoire de la Suisse romande
Anzahl Seiten
814 S.
von
Ernst Tremp, Mediaevistisches Institut, Universitaet Freiburg

La « clef de voûte » de cette thèse de doctorat, soutenue en 2008 à l’Université de Lausanne, consiste dans sa deuxième partie, à l’édition des chartes de Romainmôtier (pp. 433-673). Les 201 numéros du chartrier qui contiennent 219 actes juridiques différents sont présentés dans une édition critique, accompagnés d’un apparat d’érudition qui ne laisse rien à désirer. L’expérience d’éditeur de chartes médiévales, mise en place lors de l’édition du cartulaire de Romainmôtier du XIIe siècle (publiée en 1998) et du cartulaire de Hautcrêt de la fin du XIIe siècle (parue en 2001), a conduit Pahud à la maîtrise de cette discipline. Les principes d’édition sont établis selon la pratique éprouvée et appliqués avec constance. Les discussions chronologiques des pièces éditées, non datées dans leur grande majorité, sont denses et débouchent sur des résultats probants. L’apparat critique de chaque pièce éditée est précis, les annotations historiques sont érudites. L’étude de la chancellerie et des pratiques notariales est soutenue par la description minutieuse du support, des notes dorsales anciennes, etc. Les regestes en tête de chaque pièce éditée sont synthétiques et traduisent dans un langage clair l’essentiel des dispositions.

Six annexes fournissent des instruments de travail précieux : I. « La dispersion des archives de Romainmôtier » (pp. 675-685), établie sur la base des mentions dorsales et des anciens inventaires, donne une synopse et visualise ainsi la dispersion – ou bien la reconstitution – des archives de Romainmôtier. II. « La composition du chartrier de Romainmôtier » (pp. 687-704), essaye d’ordonner les 201 numéros de l’édition selon un ordre chronologique, entre l’an 601 et le milieu du XIIe siècle. Cette annexe est d’autant plus utile et importante que l’édition n’est pas organisée chronologiquement (ce qui aurait été une tâche impossible). Elle procède par dépôts d’archives, en suivant à l’intérieur de chaque dépôt l’ordre des cotes. La matière a été répartie en cinq subdivisions principales selon les dépôts d’archives actuels : Archives cantonales vaudoises, Archives de l’État de Fribourg, Bibliothèque royale de Turin, Collection diplomatique de Mülinen (aux Archives de l’État de Berne) et Archives communales de Romainmôtier ainsi que quelques deperdita. III. « Le Régeste des mentions de Romainmôtier entre 888 et 1190 » (pp. 705-715) fournit des régestes de sources diplomatiques ou narratives étrangères au monastère de Romainmôtier. IV. « Les prieurs de Romainmôtier » (pp. 711-715) précisent en plusieurs points les vitae proposées par Helvetia Sacra (1991). V. « Les bâtiments de Romainmôtier » (pp. 717-720). VI. L’annexe « Cartes » (pp. 729-738) dresse huit documents illustrant l’accroissement du temporel, la typologie des possessions et les familles seigneuriales ou nobles en relation avec Romainmôtier. Des tables hors texte en couleurs complètent la partie des annexes en fin du volume.
Les études de la première partie de l’ouvrage accompagnant l’édition traitent d’abord in extenso des aspects archivistiques et diplomatiques du corpus. « Les archives du couvent de Romainmôtier » (pp. 17-70) contiennent notamment un chapitre sur l’utilisation du chartrier à l’époque médiévale. L’étude diplomatique (pp. 71-178) entreprend une analyse de la nature juridique des actes, de leur forme diplomatique et de leur élaboration (phases de rédaction, scribes). Le lecteur non spécialisé s’intéressera surtout au chapitre suivant et principal « Histoire du couvent de Romainmôtier » (pp. 179-431) qui traite de l’histoire et des structures économiques et politiques après le rattachement de Romainmôtier à l’abbaye de Cluny par la comtesse Adélaïde en 928/29 jusqu’à l’association entre Romainmôtier et les comtes de Bourgogne en 1181. Dans la partie « Aspects politiques » (pp. 179-305), l’auteur dresse un tableau dense et détaillé des rapports de Romainmôtier avec les rois de Bourgogne et avec les dynastes du Pays de Vaud. C’est surtout sous Rodolphe III (993-1033), le dernier roi, que les liens sont étroits. Il assuma en personne ses responsabilités judiciaires et favorisa le clergé séculier et religieux, notamment les clunisiens, pour contrebalancer le pouvoir grandissant de la féodalité laïque. Son partenaire était l’abbé Odilon de Cluny (994-1049) qui joua un rôle actif dans les destins de Romainmôtier durant la première moitié du XIe siècle. L’auteur établit les liens étroits qui régnaient entre Cluny et Romainmôtier notamment sous Odilon. Les deux monastères étaient régis par la même réalité institutionnelle et la mobilité du personnel.

Pour éclairer la vie interne et la spiritualité monastique, le chartrier et le cartulaire ne peuvent pas fournir d’indications utiles. C’est pourquoi A. Pahud recourt avec profit aux témoignages contenus dans les sources hagiographiques : La Vita Odilonis nous renseigne sur la construction d’édifices à Romainmôtier, de même qu’Odilon reconstruisit les bâtiments conventuels à Cluny ce qui confirme une politique systématique de rénovation architecturale. La préface d’Odilon dans sa Vita Maioli, la vie de son saint prédécesseur, l’abbé Mayeul (964-994), nous renseigne aussi sur la vie interne et montre des rapports directs et familiers entre l’abbé et ses moines dans la vallée du Nozon. Ainsi ce bel exemple rapporté par Pahud : Odilon séjourna à Romainmôtier autour du 11 mai, la fête du saint Mayeul, en 1031/33. Pour préparer l’office de nuit de la veille, il conseille au moine chargé de cette tâche d’utiliser les Homélies de Grégoire le Grand, particulièrement chères à Mayeul. Après la cérémonie, les moines se couchent, mais Odilon lui-même ne trouve pas le sommeil ; il a de grands soucis à cause des graves pertes matérielles et de la pénurie en cette époque de famine. La situation est si grave que le monastère n’apparaît plus en mesure d’assumer sa fonction de redistribution au profit des pauvres, voués à une mort certaine. L’abbé se met à prier saint Mayeul, dont l’évocation lui donne un peu de réconfort. C’est justement cet épisode qui donne à Odilon l’idée de composer une vie en l’honneur de son prédécesseur (pp. 207 et ss). Il aurait été séduisant de tenter d’établir un itinéraire d’Odilon et de fixer ses séjours à Romainmôtier. Mais la base documentaire, malgré sa richesse relative, ne permet pas d’établir une chronologie exacte.

Pour le premier grand abbé de Cluny, Odon (927-942) à qui la comtesse Adélaïde avait légué Romainmôtier dans son testament en 928/29, les sources de Romainmôtier restent muettes. Peut-être qu’une relecture de la Vita Odonis de Jean de Salerne aurait pu révéler d’autres informations ? Avec la fin de la dynastie rodolphienne et le début de l’abbatiat de Hugues de Semur à Cluny (1049-1109), au milieu du XIe siècle, la situation politique et institutionnelle de Romainmôtier va changer profondément. Hugues – acteur de premier plan de la politique européenne, – faut de temps, va délaisser le prieuré relâchant ainsi les liens privilégiés avec Romainmôtier. En cette période d’éloignement du pouvoir, de dislocation progressive des structures étatiques et d’« anarchie féodale » croissante, le monastère déclinera et sera confronté aux nouveaux pouvoirs locaux rivaux, notamment ceux des seigneurs de Grandson.

Dans la deuxième partie de l’étude historique, « Aspects économiques et sociaux » (pp. 306-411), les sources à disposition fournissent une base solide pour analyser les catégories sociales en rapport avec Romainmôtier, les seigneurs châtelains, les chevaliers et les autres propriétaires fonciers ainsi que la structure et la répartition géographique de la propriété monastique. Les chapitres suivants traitent du servage, de l’administration du temporel et du personnel conventuel. Des conclusions détaillées clôturent l’étude historique.

Notons aussi la valeur évidente et le soin apporté à l’index des noms propres (noms de personnes et de lieux de la première partie de l’ouvrage d’une part (pp. 767-782) et l’index nominum (pp. 783-809) de l’édition du chartrier d’autre part. Dans ce dernier. l’utilisateur se trouve cependant confronté à un inconvénient majeur. Il manque en effet une numérotation courante (numerus currens) de toutes les 201 pièces éditées qui sont classées selon les dépôts d’archives et suivant l’ordre des cotes (voir plus haut). Ce système est incommode et lourd, et rend malaisée la recherche d’un document. Ce choix est d’autant plus regrettable que l’auteur a été rendu attentif au problème lors de la soutenance de thèse il y a dix ans et qu’il aurait eu suffisamment de temps pour le résoudre avant la sortie du livre.

À part cette remarque critique, l’auteur a pleinement réalisé son défi, celui d’écrire une nouvelle histoire du couvent de Romainmôtier au haut Moyen Âge après son rattachement à l’ordre de Cluny. Il nous offre une étude d’une profonde érudition et de belle qualité, avec beaucoup d’observations nouvelles et riches en résultats nouveaux. Il faut aussi féliciter la société éditrice, la vénérable Société d’histoire de la Suisse romande qui a apporté son soutien et a accueilli cette étude importante dans sa renommée collection des « Mémoires et documents ».

Zitierweise:
Ernst Tremp: Alexandre Pahud: Le couvent de Romainmôtier du début de l’époque clunisienne à la fin du XIIe siècle. Étude archivistique, diplomatique et historique, suivie de l’édition du chartrier, Lausanne : Société d’histoire de la Suisse romande, 2018. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 167-170.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 127, 2019, p. 167-170.

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